Blonde aux yeux gris qui se teintent de bleu lors des jours ensoleillés, Fleur ne leur laisse cependant guère le loisir de prendre leur plus bel atour, trop occupée à travailler. Elle peint de rouge ses lèvres afin d’accentuer son teint qui en ferait pâlir plus d’un or la demoiselle met un point d’honneur à rester pâle. Ses cheveux sont des êtres récalcitrants qui, malgré la brosse, aiment faire ce qu’ils souhaitent. Bouclés à souhait ils s’échappent de ses chignons stricts que ses anciens maîtres lui imposaient. Même si cela parait négligé et fort peu convenable, la française les laissera libre de leur mouvement la plupart du temps, à moins qu’on l’y contraigne.

D’une taille modeste, elle frôle le mètre soixante, et aime tricher avec de petits talons lors de ses rares élans de coquetterie. Elle se sent rassurée ainsi et cet ajout s’avère être une aide considérable lorsqu’elle travaille pour atteindre le haut des armoires, par exemple. Même si Fleur est mince, elle a ses propres atouts : une poitrine plus que satisfaisante -voire handicapante lors de ses mouvements- et des courbes généreuse mais sans excès. Fleur tient à rester mince plus pour le côté pratique qu’esthétique de la chose.

Elle ne se considère pas comme un canon de beauté. Elle est commune mais a son petit charme de par sa voix douce et lointaine. Même si elle parle peu et peu fort, Fleur est capable d’hurler à plein poumon –chose qui en surprendrait plus d’un, tant la chose est rare- et sa voix prend alors un tout autre ton : aigu et nasillard. Elle n’aime pas sa voix, mais ce qu’elle déteste plus que tout ce sont ses mains qu’elle trouve petites et massives. Ses doigts sont courts, tordus et ampoulés, mais surtout elle garde une grosse cicatrice sur ses mains, qui, par le plus grand des hasards, représente une fleur. Cependant, peu en ont connaissance, car la demoiselle dissimule ses mutilations sous une paire de gants blancs.

Fleur est une personne discrète et docile. Une parfaite domestique qui sait exactement où est sa place et quel est son rôle. Elle est donc professionnelle et compétente, car elle ne mélange jamais vie privée et vie professionnelle. En même temps, quelle vie privée peut-elle espérer avoir en travaillant pour autrui et en vivant chez lui ?

Fleur est loin d’être ignorante et servile. Elle sait ce qu’elle veut et déterminer ce qui est juste ou non. Ordonnez-lui de prendre la vie d’une autre personne, elle ne fera pas. Car cela ne fait pas parti de ses attributions mais également, à dix milles lieux de son tempérament. C’est une jeune femme douce qui n’élèvera la voix qu’en de rare occasion. Quand ? Si on vous dévoile tout maintenant, il n’y aurait plus de surprise.  Consciencieuse dans son travail, elle adore pourtant les ragots et laissera à l’occasion son oreille trainer de-ci, de-là. Mais en de très rares occasions, cela est important de le rappeler. Sa curiosité naturelle est vite rassasiée, de toute manière, pour qu’elle s’invente espionne ou journaliste.

Mais dans son intimité, elle est une toute autre personne. Sa langue se délie et elle crache son venin facilement, lorsqu’on lui fait un reproche, elle est tout à fait capable de se retenir toute la journée et laisser sa haine s’exprimer contre son oreiller lorsqu’elle attend Morphée. Franche, voire insolente, elle défit les hommes qui passent du temps en sa compagnie. Elle aime aguicher mais n’ira jamais jusqu’à offrir sa fleur au premier venu. Sa vertu est son unique bien précieux qu’elle conserve farouchement. Et ce bien précieux restera fidèle à son cœur et ses aspirations.

Peu de personne ont connaissance de ce dédoublement de personnalité, car la jeune femme veille sans relâche à ce qu’on ne la reconnaisse pas. Timide le jour, frivole la nuit, voilà ce qu’est Fleur. Une fleur peut en cacher une autre, ne le saviez-vous pas ?

Ce fut armé d’une simple valise à la main que Fleur foula pour la première fois les pavés de la gare Londonienne. Si on lui avait dit un jour qu’elle traverserait la Manche sur un bateau et qu’elle se retrouverait à cheminer vers Londres, elle ne l’aurait pas cru. Elle, la petite française, sans grande histoire. Elle, la petite Fleur que sa mère aimait tant. Elle avait dû quitter son pays. Laisser derrière elle tous ses souvenirs, tous ses soucis.

Elle fixa la grande horloge qui ornait le hall de la gare. Son rendez-vous n’était plus très loin et elle devait se hâter. Sans attendre, elle sortit de la gare et se précipita dans la première diligence qui s’offrit à elle. Son anglais était mauvais mais son accent pire encore. Elle dû répéter plus d’une fois sa destination. Mais on ne la compris pas. Heureusement pour elle, un autre passager la prise en pitié et l’y aida. D’un regard, elle le remercia puis s’installa plus confortablement dans le fond du fauteuil matelassé. Elle se rendit compte qu’elle avait pris un moyen de locomotion bien au-dessus de ses moyens mais il était trop tard pour se raviser. Les rues de Londres défilaient devant ses yeux lorsqu’elle se remémora le chemin qu’elle avait fait depuis tant d’années.

Fille de domestique, dans la demeure des Rongeton –bourgeois aux revenus modeste- Fleur vécu sans trop de difficulté. Ses maîtres étaient bons avec sa mère et elle, leur offrant logis et couvert, ainsi qu’un maigre salaire, mais hautement suffisant pour elles deux. Valérianne, sa mère, était une femme modeste et sans grande ambition, qui tendait à la discrétion. Elle aurait souhaité que sa fille suive le même chemin qu’elle, mais Fleur était une enfant joyeuse et active, qui allait la plupart du temps au-devant des problèmes, ce qui mettait sa mère en porte-à-faux. La pauvre Valérianne dû un nombre incalculable de fois s’excuser et réparer les bêtises commises pour son incorrigible fille. Fleur vécu ainsi pendant des années, insouciante et dépendante de sa mère, jusqu’au jour où celle-ci s’éteignit, suite à une mauvaise grippe. Fleur n’avait alors qu’onze ans. L’âge où l’insouciance, le jeu et les premiers émois font leur apparition. Mais ses maîtres, si bons, si généreux, si gentils, ne lui laissèrent guère le loisir de grandir naturellement. Fleur dû travailler, comme les autres.

Un jour, alors qu’elle repassait le linge de maison, le jeune maître, Lucien Rongeton, entra dans la blanchisserie. Il était tard, et la lumière diffuse de la bougie vacillait car la mèche était en fin de vie. Elle s’en souvenait comme si c’était hier, et pourtant cela remontait il y a presque dix ans. Elle avait fleuri, devenant un jeune bourgeon aux allures de femme. Le fer chauffait sur le poêle, près de l’entrée, et elle chantonnait tout en effectuant son labeur. Elle avait appris à travailler et à apprécier son emploi malgré la difficulté et le peu d’argent qu’elle gagnait. Elle salua alors Lucien, âgé d’une année de plus qu’elle et il semblait ivre. Le jeune homme, aimable d’ordinaire, s’approcha du poêle et se saisit du fer. Fleur n’eut le temps que de battre des paupières. Lucien lui avait posé le fer rougeoyant sur l’une de ses mains. L’adolescente hurla de douleur, le supplia d’arrêter, mais il n’en eut cure. Il pressa plus fortement l’outil, compressant la main de la jeune fille qui pleurait toutes les larmes de son corps, suppliant de toutes ses forces. Ses cris ameutèrent la maisonnée qui emportèrent loin d’elle le jeune maître qui avec un sourire aliéné riait de vive voix. Il jubilait, elle put le voir à travers ses larmes.

Elle revint à la réalité et regarda ses mains qui tremblaient. Elle resserra sa prise, comme pour retirer l’engourdissement qui s’installait. Elle avait encore mal, même si on lui avait assuré qu’elle n’aurait aucunes séquelles, mais parfois l’esprit l’emportait sur le corps. Elle dû le reconnaitre, elle avait payé pour ses bêtises. Lucien était loin d’être méchant, mais il eut un accès de folie. On lui découvrit ce jour là une pathologie dangereuse, mais se souciant du "qu’en dira-t-on", les Rongeton gardèrent leur fils près d’eux. Combien de fois Fleur fut la victime de Lucien. Combien de fois avait-elle pleuré à cause de ses sévices ? Elle n’osait les compter mais son corps lui s’en souvenait. Cinq années plus tard, Lucien mis fin à ses jours, dans un autre accès de folie, et les Rongeton rongeaient pas la peine abandonnèrent leur maison et leurs domestiques. Fleur avait alors vingt ans, et que peu de référence pour se retrouver un emploi. La réputation de ses anciens maîtres était fébrile mais elle parvint à trouver une nouvelle maitresse qu’elle servit pendant quatre années, jusqu’à leur mort. Dame de Floriment était une vieille femme acariâtre et usée par la goûte. Cependant, elle avait pris en affection Fleur et lui distilla une éducation. Désormais, la lingère savait écrire, compter et lire, ainsi que jouait modestement du piano. Son dernier travail auprès de la vieil veuve Floriment fut de l’accompagnement, plus que de la domesticité. Fleur n’était pas stupide, elle savait que le savoir qu’elle avait acquis, était une chose inestimable et rare pour une fille de sa condition. Dame Floriment mourut un matin d’hiver, laissant derrière elle une maison sans successeur. Fleur dû de nouveau partir à la recherche d’un emploi, mais elle était lassée de sa France natale. On lui recommanda alors de traverser les frontières de la Manche et de trouver son bonheur sur d’autre territoire. Elle avait d’abord refusé de partir, mais elle changea rapidement d’avis, suite aux accusations qui la poursuivaient désormais.

La diligence stoppa sèchement, emportant dans son élan la jeune femme, qui, instinctivement, s’accrocha à sa valise. Elle se retrouva contre l’autre passager, dans une position fort peu convenable. Elle s’excusa tout en rougissant puis quitta le véhicule branlant. Sa nouvelle vie était là, désormais. Devant elle, une immense maison sur plusieurs étages, dans une rue grouillante de vie et de haut de forme. Le véhicule reprit sa route, le son des sabots des chevaux sur le pavé lui laissant un goût amer. Elle ne pouvait plus reculer. Elle fit un pas, puis deux, puis trois. Elle se retrouva rapidement devant la porte, où, d’une main gantée, elle toqua. La porte s’ouvrit et elle s’y engouffra. Non, elle n’avait plus rien à perdre. Une nouvelle page se tournait, adieu la France et bonjour Londres.