J'ai fini par m'éloigner du droit chemin. Par m'éloigner du seigneur à qui j'avais proclamé ma foi. J'ai créé un monstre. En donnant un mauvais conseil à un garçon dérouté. Possédé. Maudit. Et pourtant, je ne pensais que l'aider.
J'ignore ce qui a raté. J'ignore pourquoi il a pris cette direction emplie de pêchers tout en pensant œuvrer au nom du seigneur pour atteindre la rédemption et se défausser de cette damnation. Moi qui croyais lui avoir appris le véritable sens de la foi... Je me trompais.
Puisse-tu me pardonner, mon père. Je te promets de réparer cette erreur. Vois-le comme la preuve de ma créance et de mon désir de pardon. Je saurais le remettre dans le droit chemin. Je t'en fais la promesse.
Amen.
Tout a commencé quand je l'ai rencontré. Quand il est venu frappé à la porte de mon église, désespéré. J'ai d'abord cru à une mission divine. Que c'était dieu qui l'avait conduit jusqu'à moi pour me tester. Et sans doute avais-je raison. Mais le test, je l'ai raté en beauté.
Cet inconnu devenait complètement fou. Il semblait effrayé par quelque chose qui le suivait, mais que je ne voyais pas. Comme s'il était possédé. Une chose était sûre, il était au bord du gouffre. Prêt à commettre l'irréparable, une faute impardonnable, si jamais je ne pouvais pas l'aider : mettre fin à ses jours.
Il m'a clairement dit avoir tout essayé, absolument tout, pour fuir ce qui le poursuivait. Pour s'en débarrasser définitivement. Mais rien n'avait fonctionné. Nul ne l'avait cru. Et on avait même essayé de l'envoyer à l'asile.
Ce qui l'avait conduit jusqu'à moi tenait en un mot : exorcisme.
Ma renommée en la matière n'était plus à refaire. Oui, j'en avais pratiqué un grand nombre. Et oui, tous avaient fini tant bien que mal par être un véritable succès. Mon nom était arrivé jusqu'à ses oreilles par pur hasard alors qu'il s'apprêtait à baisser les bras. Puis le voilà venu m'implorer mon aide.
En soit, je n'étais pas contre l'idée de lui porter secours. Mais pour pratiquer une telle adjuration, il fallait de solides preuves... Et l'absence d'autre choix. C'est ce que j'ai tenté de lui expliquer. A travers la foi, il avait plus de chance de se débarrasser de ses démons. Bien plus qu'en usant de la violence d'un exorcisme. Et j'étais prêt à le convertir à ma religion s'il souhaitait prendre cette voie là.
Il a fini par accepter de me donner une chance, une seule, de l'aider de cette façon. Et en échange, j'ai du lui promettre de l'exorciser si cela venait à empirer.
C'est ainsi qu'il est venu vivre sous mon couvert. Clyde Mac Lochlainn. Tel était son nom.
***
Les jours qui suivirent, je l'ai observé. Je le voyais sans cesse à l’affût, ses pupilles élargies par la crainte, guettant inlassablement tout autour de lui. Comme s'il redoutait de voir surgir un monstre à tout instant. Et parfois, il se protégeait de ses mains et suppliait une entité inconnue de le laisser tranquille. Affirmant qu'il n'avait rien fait. Qu'il n'avait tué personne.
Je lui ai demandé ce qu'était cette malédiction. Tout ce qu'il m'a dit, c'est qu'un esprit le hantait. Criait vengeance en le pourchassant jours et nuits. Le traitant de meurtrier. Lui faisant vivre un véritable enfer.
Il finissait par ne plus savoir différencier ce qui était réel de ce qui ne l'était pas, avec ces apparitions répétées. Et c'est en grande partie à cause de ça et parce qu'il parlait tout seul que les gens l'avaient pris pour fou.
Tout ce qu'il souhaitait, c'était que ce fantôme disparaisse. Pour qu'il puisse enfin vivre en paix.
Alors, j'ai fait ce que j'avais toujours fait. En tant qu’évêque, je lui appris le sens de la foi. Les prières, les psaumes. Tout ce qui pouvait l'aider à trouver un quelconque réconfort et les réponses à toutes ses questions.
Il se mit à prier. A assister aux messes que j'accomplissais. Quelque part, à force de vivre en croyant à quelque chose, ce garçon commença à aller mieux. J'ignore si c'était parce qu'il réussissait à ignorer cet esprit toujours présent à ses côtés ou s'il avait vraiment réussi à s'en débarrasser en s'ouvrant à dieu. Mais quoi qu'il en soit, il n'était plus sans cesse aux aguets. Il ne sursautait plus au moindre bruit. Plus détendu, j'ai même vu apparaître un sourire de temps à autres sur son visage.
Ma mission s'avérait être une réussite. Et une telle chose me comblait de joie. Mais si je pensais que la suite serait un jeu d'enfant, je me trompais fortement...
C'est au moment où tout allait mieux que les choses commencèrent à dégénérer. Alors qu'il était presque rétabli. Alors qu'un exorcisme semblait être inutile. On peut dire qu'il replongea. Dans sa folie. Entouré de démons que lui seul pouvait voir.
Je l'ai retrouvé recroquevillé dans sa chambre quelques temps plus tard, en train de jurer et d'insulter le vide de la pièce. Il n'y eut alors plus rien à faire. Il perdit confiance en la foi. Et la question d'un exorcisme revint sur le plateau.
Pourquoi un tel revirement ? C'est la question que je lui ai posée. Alors il m'a avoué avoir fait de son mieux pour ignorer l'entité qui le poursuivait depuis le début. Il m'a dit avoir presque réussi... Jusqu'à ce qu'un autre esprit se joigne à lui pour le tourmenter. Quelqu'un qui disait avoir été assassiné et qui voulait absolument que Clyde le venge.
Un aveux qui me laissa sans voix. C'était quelque chose que je n'avais jamais vu auparavant. D'ordinaire, quand je dois exorciser quelqu'un, il est vraiment possédé. Un être maléfique parle au travers de son corps, vocifère des obscénités et maudit le nom du seigneur. Lui, il n'avait aucun de ces symptômes. Il était juste tourmenté par des visions. Et je ne pouvais rien y faire. Je savais qu'un exorcisme ne fonctionnerait pas.
Mais s'il y avait un esprit auprès de lui, je pouvais toujours l'amener à parler.
Alors j'ai offert à Clyde la séance d'exorcisme qu'il me réclamait. Posant ma main sur son front, j'ai prononcé une prière et invoqué le démon qui le tourmentait, l'obligeant à parler à travers lui. Et ça a marché. Même beaucoup trop bien.
Le fantôme qui se trouvait avec nous depuis le début prit la parole. Et il m'apprit tout. Ce qui c'était passé entre lui et Clyde. Une partie de la vérité sur le passé du jeune homme que j'avais pris sous mon aile. Sur ce qu'il n'avait jamais voulu me dire.
***
La vérité, c'est que Clyde avait fricoté avec ce qu'il aurait mieux fait d'éviter. Je n'ai pu savoir si cela venait de ses fréquentations ou si l'idée était de lui-même. Mais le fait est qu'en jouant les informateurs, vivant en dehors des règles et revendant les renseignements récoltés à prix d'or, il avait fini par se mettre à dos des clans importants.
Et c'est alors qu'il tentait d'éviter les représailles des familles concernées avec un de ses amis que tout avait dégénéré. Des jeunes d'un des clans, dont celui qui me racontait toute l'histoire, avaient décidé de leur tendre une embuscade pour se venger par eux-mêmes. Tentant de semer leurs poursuivants dans une bâtisse abandonnée, Clyde et son compère avaient grimpé les étages. C'est alors que, d'une manière qui m'échappe, l'un des jeunes bascula par la fenêtre et se rattrapa de justesse... Mais il était incapable de remonter et ne pouvait malheureusement pas tenir longtemps.
Alors, en premier lieu, Clyde avait eu la bonne réaction. Il avait esquissé un mouvement pour l'aider à remonter. Il s'était apprêté à sauver son prochain. Par réflexe, sans doute. Et s'il était allé jusqu'au bout de son geste, il n'en serait certainement pas là aujourd'hui.
Car quelque chose l'a stoppé. Quelque chose, ou plutôt, quelqu'un. Une voix qui avait crié à son encontre :
« Clyde ! Ramène-toi ! Faut qu'on se casse et tout de suite ! Les autres arrivent ! »Il avait hésité, puis était parti. Résultat, le jeune était mort en chutant, et les autres adolescents du clans avaient entendu son nom. Je suis persuadé que c'est l'un d'eux qui lui a lancé cette malédiction. Une fois qu'on a un nom, on peut faire de nombreuses choses...
Mais grâce à ce fantôme inconnu, je sais désormais tout. Condamné à être hanté par des victimes de meurtres volontaires ou non, voilà quelle est sa punition pour avoir laissé mourir quelqu'un qu'il aurait pu sauver. Telle est la malédiction du jeune Mac Lochlainn.
***
Quand Clyde avait repris possession de son corps, il se souvenait de tout. Il savait pourquoi il était maudit. Il avait également compris que ça ne s'arrêterait certainement pas à deux esprits...
Suite à la fin chaotique de l'exorcisme, qui n'avait comme prévu absolument pas marché, l'état de Clyde commença à se dégrader rapidement. Il devenait plus sombre, perdait espoir. C'était tout juste s'il acceptait d'entendre parler de religion. Il esquivait la messe, évitait même de me croiser dans le couloir pour ne pas entendre mes conseils.
Pourtant, je m'efforçais de lui apporter un peu plus de mon aide. Je tentais de lui donner des solutions. Un moyen pour apporter la paix aux âmes en peines qui le pourchassaient. La réponse qui me venait à l'esprit était pourtant si simple... Et le garçon s'était montré si doué et intéressé jusqu'à l'arrivée du deuxième fantôme.
Mais la foi avait disparue. La croyance n'était plus que stupidité pour lui.
Mon aide, il l'avait totalement refusée. Jusqu'à ce qu'un jour, je parvienne à lui souffler, juste avant de le voir disparaître à l'angle d'un couloir, mon ultime conseil.
« Si tu veux te défaire de ces esprits, il faut que tu te débarrasses avant tout de la source de tous leurs maux ! »Un conseil qu'il a totalement compris de travers. Je ne l'ai réalisé que bien plus tard. Quand il réussit à retrouver le meurtrier d'une des victimes. Une fois qu'il était parvenu à se rapprocher de lui en se faisant passer pour un prêtre. Et qu'il l'avait éliminé pour de bon.
Il avait violé l'un des dix commandements. Celui qui interdisait formellement de tuer.
Et le pire, c'est qu'il n'en avait pas été troublé. Ça avait marché. Le fantôme l'avait remercié et avait disparu. C'était le principal. Voilà ce qu'il m'avait dit, presque soulagé, alors qu'il me remerciait pour cet excellent conseil. Et que je le regardais, complètement horrifié.
Le lendemain, il avait disparu.
Une suite à cette histoire, il y en a bien une. Mais je tiens à vous prévenir qu'elle n'est pas très glorieuse.
Pendant des années, j'ai tenté de retrouver sa trace. Je voulais à tout prix rattraper mon erreur et arrêter le monstre que, malgré moi, j'avais lâché dans le monde. Nul ne doit avoir le droit d'attenter à la vie d'autrui. Même si cette personne a commis le plus infâme des pêchers. C'est ce en quoi je crois.
Mais je n'ai jamais réussi à retrouver sa trace. Même en quittant l'Ecosse pour me rendre en Angleterre. Il s'était comme volatilisé... Jusqu'à aujourd'hui.
Il m'avait bien semblé reconnaître cette silhouette en soutane quitter une ruelle de la Capitale. Même s'il s'était étoffé et avait quelque peu grandi, cette démarche, je l'aurais identifiée entre mille. C'était bien lui. Le Clyde que j'avais connu et que je voulais toujours sauver.
Mais sa présence en un tel lieu avait attiré mes soupçons. Refrénant l'envie de le suivre pour ne pas le perdre de vue, je m'étais alors engagé dans l'impasse qu'il venait de quitter. Et le spectacle qui s'offrit à mes yeux était tel que je l'imaginais. Un cadavre baignant dans du sang.
Pauvre garçon. Il était pourtant si jeune. Qui a-t-il bien pu tuer pour finir ainsi ? J'ai peine à y songer. Puisse son âme être pardonnée par le seigneur et rejoindre le ciel.
Mais maintenant, je sais où se cache Mac Lochlainn. Il a décidé de continuer sa série de meurtres. Et plus que jamais, je me dois de l'arrêter.